Jour : 2 octobre 2018

Comme un malaise

Avant de parler de ce que nous avons fait et vu à San Francisco, je ne peux passer sous silence le malaise que j’ai ressenti en voyant tant de personnes rétrogradées au niveau le plus misérable de la condition humaine. Jamais je n’ai vu autant d’hommes et de femmes, jeunes ou moins jeunes, dans une telle décrépitude. Beaucoup d’entre eux semblaient avoir perdu l’esprit. J’imagine que certains mélanges de drogue ont laissé chez certains d’entre eux des séquelles irréversibles. Des images terribles me reviennent : des hommes se déplaçant voutés comme des singes avec la même démarche animale, fouillant les poubelles avec la détresse de l’animal affamé ; des jeunes femmes en guenilles, le visage couvert de boutons devenus pustules ; des hommes urinant dans la rue sans même rechercher un coin à l’abri des regards ; d’autres titubant et courant en même temps, semblant poussés par une urgence incompréhensible ; des personnes sans abris en fauteuil roulant coincés au milieu de la rue sans personne pour les aider à traverser ; d’autres se débattant avec des béquilles dépareillées ; d’autres encore marchant pieds nus essayant de vendre aux passants leur dernière richesse, leur paire de chaussures ; beaucoup criant leur colère à des personnes invisibles.

Pardon pour ce tableau qui semble sorti de l’imagination de Jérôme Bosch. Mais je n’exagère rien. J’ai été choqué. Nous avons été choqués. Parfois, nous tournions en dérision les scènes pour les filles. Mais franchement au fond de moi, je n’avais pas envie de rire, mais bel et bien de pleurer. Nous voyons de nombreux sans abris en région parisienne, des gens qui mendient. Mais ceux-ci ont un comportement rationnel. A San Francisco ce qui m’a frappé, c’est le nombre de personnes qui ont un comportement irrationnel qui donnent presque le sentiment qu’ils ont perdu leur humanité.

Cela est d’autant plus surprenant dans une ville qui se veut accueillante et qui est, par ailleurs, très riche.

San Francisco, la ville aux deux visages

Nous sommes arrivés à San Francisco en soirée après avoir fait la route depuis Sequoia Park. Le soleil se couchait quand nous avons traversé San Mateo bridge. Le magnifique spectacle de la baie de San Francisco sous un ciel orangé est venu alléger la fatigue que je ressentais après trois journées consécutives de route.

La ville de San Francisco jouit d’un statut à part dans l’inconscient collectif. Elle est connue et respectée pour sa tradition de tolérance. Quand on l’évoque on pense souvent au mouvement hippie qui y a connu un essor particulier. On pense également à la forte communauté homosexuelle qui a souvent permis à la ville d’être précurseuse dans la défense de leurs droits. Aujourd’hui, la ville revendique être un sanctuaire pour les immigrés clandestins.

Je crois que même les personnes qui critiquent le plus sévèrement l’Amérique, dénonçant la dureté de son modèle économique ou son côté réactionnaire, posent sur la ville de San Francisco un regard différent.

Il m’a semblé que la ville de San Francisco était, en partie, conforme à son image de contre-culture ou de résistance par rapport à des politiques qui placeraient le profit sans conscience et sans humanisme, comme objectif principal de leur mandat. Nous avons observé à de nombreuses reprises, des panneaux accrochés aux fenêtres, aux portes, sur les voitures, dénonçant le régime en place et appelant à une résistance active. La ville communique également beaucoup sur sa volonté d’être à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique.

Mais San Francisco n’est pas que cela. C’est aussi une ville américaine, riche, avec ses tours, ses banques, ses grandes entreprises… On ne peut parler de San Francisco, sans parler de ce que les américains appellent « The Bay Area ». L’air urbaine de San Francisco englobe au sud la Silicon Valley avec les sièges de quelques géants de l’informatique : Hewlett Packard (Palo Alto), Google (Mountain View), Apple (Cupertino), Facebook (Menlo Park). Elle englobe les universités de Stanford (au sud près de Palo Alto) et de Berkeley (à l’est près d’Oakland)… La région de San Francisco est l’une des plus riches des Etats-Unis. Le revenu moyen par habitant y serait même le plus élevé.

San Francisco est donc une ville de contraste où existe une tradition de contre-culture et de résistance, mais également une ville qui glorifie le développement économique le plus débridé.

Les plus riches se battent pour habiter dans les quartiers les plus « select ». La ville est belle. Elle compte de nombreuses demeures magnifiques. Mais que les prix de l’immobilier sont élevés! Nous-mêmes, nous avons dû nous résoudre à prendre un hôtel éloigné du centre pour ne pas trop nous éloigner du budget alloué. L’hôtel – le plus cher que nous ayons pris aux Etats-Unis – était d’ailleurs tout à fait quelconque.